Depuis Tocqueville, nous savons que notre pays a une passion insatiable pour l'égalité. Cette passion nationale, bien qu'admirable à bien des égards, ne se limite pas à influencer notre société. Elle irrigue également notre approche de l'action publique et de la confiance envers les territoires.
La décentralisation est un sujet brûlant en France depuis des décennies. Au cœur de ce débat se niche un clivage très français : la tension entre cette passion pour l'égalité et la reconnaissance de la diversité locale. Bien que l'égalité soit une valeur louable, elle peut rapidement devenir une conseillère mal avisée. De plus en plus, je suis convaincu que les difficultés que notre pays rencontre pour développer la décentralisation sont également liées à ce dogme intouchable au sein de notre Nation. Dans ce domaine comme dans de nombreux autres, notamment sur le plan économique.
Car l'égalité à la française se traduit également par une quête incessante d'égalité territoriale, qui peut sembler en contradiction totale avec la volonté conjointe des élus locaux et de l'État de déléguer plus de compétences aux territoires. Cela explique aussi les contraintes rencontrées lors de la mise en œuvre de la loi 3DS qui prévoyait le développement de la différenciation et de l'expérimentation.
La décentralisation est une idée fondamentalement libérale : elle permet aux élus locaux de décider de ce qui convient le mieux à leur territoire et offre aux citoyens locaux la possibilité de participer activement à la prise de décisions, renforçant ainsi les libertés locales. C'est reconnaitre également que la démocratie locale possède une légitimité aussi forte que la démocratie nationale.
La centralisation n'est que la conséquence d'un système politique illibéral qui cherche à contrôler tous les aspects de la vie nationale. Cet état d'esprit a pour conséquence que la passion française pour l'égalité se transforme progressivement en nivellement vers le bas. La France a une longue tradition juridique façonnée par l'idée que la loi devrait être la même pour tous les citoyens, indépendamment de leur lieu de résidence. Cette quête égalitariste a forgé l'État français moderne, mais elle a également rendu la décentralisation difficile.
Bien que la confiance politique nécessite inévitablement davantage de décentralisation, celle-ci demeure difficile à mettre en œuvre car les Français, au fond d'eux-mêmes, ont du mal à accepter que la loi puisse varier de Bordeaux à Lille. La résistance à la décentralisation découle souvent de la crainte que la diversité des normes régionales puisse menacer l'unité nationale. Cette passion égalitaire est profondément enracinée et a façonné la politique française pendant des siècles.
Pourtant, la décentralisation ne signifie pas nécessairement une fragmentation totale du pays. Au contraire, elle vise à accorder plus d'autonomie aux autorités locales pour prendre des décisions pertinentes à leur région spécifique. Elle offre la possibilité de répondre aux besoins locaux de manière plus efficace tout en maintenant un cadre législatif national. Elle permet aussi à l'Etat de se recentrer et d'être plus efficace dans les compétences que lui seul peut assumer.
L'Union européenne offre une opportunité intéressante dans la manière dont la décentralisation peut fonctionner. Elle promeut le principe de subsidiarité, qui stipule que les décisions doivent être prises au niveau le plus proche des citoyens, à moins qu'il ne soit plus efficace de les prendre au niveau national ou supranational. Cette approche reconnaît la diversité des régions tout en préservant l'unité européenne. C'est ce modèle qui doit être développé aussi dans notre pays.
La France doit trouver un équilibre entre son désir d'égalité nationale et la reconnaissance de la diversité de ses territoires. Cela ne signifie pas renier nos valeurs fondamentales, mais plutôt avancer en tenant compte des réalités et des besoins locaux pour mettre fin à la crise que connaît la démocratie représentative dans notre pays.